mardi 21 novembre 2017

Semaine réintégrée - Semaine 51 — Aller de l’avant, en ligne droite…

Crédit photo : pixabay.com


Aujourd’hui, je me dois de faire usage d’une franchise honnêtement très crue : la vie terrestre n’a été nullement tendre envers moi, en aucun instant de ma vie. Une enfance particulièrement difficile et volontairement solitaire, une adolescence marginale gorgée de rejets de mes congénères féminines, une vie d’adulte faite d’échecs sociaux, de nombreux emplois abruptement avortés, de remises en question constantes. Minute après minute, seconde après seconde. Une vie faite d’épreuves que je n’ai pas toujours acceptées et comprises. Toute ma vie, je me suis scrutée sous de puissants microscopes en quête du virus nocif ou du corps étranger qui venait contaminer mes humeurs journalières à chaque instant de mon existence. J’étais incontestablement différente des autres. Mais en quoi?

Sans arrêt, il me semblait être un agneau envoyé parmi les loups ou un gluant petit ver de terre entouré d’une multitude de becs de merles affamés prêts à me faire la peau. Si on devait s’attaquer à une personne dans le troupeau, c’était immanquablement sur moi que le courroux et les irritations de tout acabit s’abattaient. Tout m’agressait : des paroles semblant à double sens dont je ne saisissais que la moitié; des rires méchants où on vous matraque d’un très violent « On ne rit pas de toi, on rit avec toi! », alors que l’on n’a pas envie de rire du tout; des attitudes d’exclusion répétées. J’étais la pièce sacrifiée qui se fait dévorer au jeu de dames, parce qu’elle a été mise, vulnérable, en pâture en attente d’un coup plus spectaculaire auquel elle ne participera pas. Toute ma vie, il m’a semblé que je ne comptais pas. Pour personne. Même pas pour moi. J’étais la spectatrice impuissante qui assistait à son propre massacre. Daniel dans la fosse aux lions.

Il m’a fallu déficeler mon autisme, comme on déballe ce gros présent qui attend sous le sapin durant trois interminables semaines, tout excité. Un colis peinturluré de rennes au nez vermillon ou de pères Noël clonés à l’infini sur du papier hautement friable. Une boîte colorée dont la taille immense nous étonne et qu’on brasse sans pouvoir en deviner adéquatement le contenu. Un cadeau-surprise, dont on n’est pas certain au premier coup d’œil d’en apprécier la présence. C’est l’encombrant robot culinaire trente-sept morceaux amovibles qu’on est déçue de recevoir quand on souhaitait un délicat bracelet de diamants. Je réalisais soudain que je n’étais pas juste une personne doucement mésadaptée qu’il fallait recadrer à simple coups de bonne volonté. Je devais conjuguer avec la présence d’un partenaire inconnu auquel je devais porter une attention particulière pour avancer : ce sympathique syndrome d’Asperger. Je ne l’avais pas vu venir, même s’il présentait la soyeuse délicatesse d’un rhinocéros dans une boutique de verrerie.

Tant qu’on lutte et qu’on résiste à la société autour de soi, on demeure en colère, tout est injuste et on n’avance nullement. Je me suis retrouvée avec toutes ces émotions mixtes à l’embranchement d’un sentier boisé en forme de Y. Soit je prenais la route de la victimisation éternelle du « pauvre petit moi blessé », soit je composais avec positivisme avec la personne entière que je détenais entre mes doigts. Incertaine, j’ai fait quelques pas tremblants sur la route escarpée de la victimisation. Pleurant en solo dans un coin poussiéreux de la salle de lavage ou sous une lourde pile de draps froissés, blottie en fœtus dans mon lit. Hurlant intérieurement des « Pourquoi moi? » et des « Je ne veux pas! » Mais je ne voyais aucune lumière salvatrice au bout de cette route qui descendait inlassablement plus bas, dans des bas fonds très noirs. Alors j’ai choisi de rebrousser chemin et de prendre la route alternative. Celle du positif. Celle de tous les possibles. J’ai trouvé quelques pistes de solution, sur lesquelles je travaille sans cesse depuis.

Se faire un mode de vie qui correspond à ses besoins et non à ceux proposés

Ah, ce qu’elle est à la mode cette tendance à « sortir de sa zone de confort »! Se faire violence pour évoluer, voilà le mot d’ordre actuel. Sortir de sa maison douillette et familière pour se propulser dans un grand blizzard en quête d’aventure périlleuse. Pratiquer sur un coup de tête des sports risqués où on peut se disloquer deux ou trois mâchoires, quitter son lucratif poste de président d’une multinationale pour aller élever des brebis en montagne, se présenter dans des soirées bourrées d’inconnus pour se prouver qu’on a le charisme nécessaire pour épater, se mettre dans l’embarras pour tester ses limites et être par la suite fier de soi et de ses forces nouvellement découvertes...

Pour un individu sur le spectre autistique comme moi, c’est courir à une catastrophe plus que certaine. Déjà que quitter la maison pour aller à la ville voisine à moins de vingt kilomètres à la ronde de la résidence familiale, avec mon habituelle voiture, un GPS fonctionnel, un trajet imprimé en trois copies à partir de Google Maps, vingt-deux cartes géographiques de secours, c’est une semaine d’insomnie assurée avant le départ. Donc, me demander de partir seule en randonnée pédestre dans les Alpes françaises, me présenter seule à un cocktail où je ne connais âme qui vive ou juste changer de pharmacie, c’est m’asseoir sur un cactus bien piquant pour trente-trois jours d’affilée. L’inconnu ne me donne rien de bon, seulement une anxiété cuisante et des maladresses sociales à ruminer pour m’enfoncer la tête bien profondément dans les épaules à coup de marteau bien massif.

J’ai réalisé que pour moi, il faut l’inverse. Créer et entretenir ma zone de confort est ce que je peux faire de plus propice à mon épanouissement. En sortir de force, jamais. En étirer souplement les murs, toujours. Le changement brusque, les étapes trop drastiques ou les mises en danger sans filet ne sont pas pour moi, car je m’y écorcherai tout bout de peau qui dépasse d’une manche protectrice. J’ai choisi de me créer une zone de confort bien moelleuse et de braver les slogans des magazines tendances à la mode et des chroniqueurs branchés. Repousser ses limites, bien d’accord, mais uniquement quand ces limites sont devenues familières et confortables. Alors là, un petit pas de plus est permis. Qui va lentement va sûrement, dit le proverbe. Avec le temps, j’ai bien appris à mes dépens que de vouloir monter les marches trop vite me les faisait débouler tout de go et qu’il en résultait de brûlantes égratignures. Alors, je me joue des tours : j’intègre petit à petit un nouvel élément inconnu, pour ne pas me créer des angoisses insurmontables et des situations d’échecs répétés et déstabilisants. Ainsi, j’avance.

Ne pas suivre la norme établie

J’étais en passionnante conversation avec une fille de ma connaissance récemment. Elle m’a raconté qu’elle était tristement déçue de sa vie. « J’ai 25 ans et je n’ai pas réalisé ce que je souhaitais », me dit-elle. Elle aurait voulu à cet âge-là, avoir déjà un mari fiable et aimant, deux enfants en santé, un bon travail stable et valorisant et une chaleureuse maison à la campagne. J’ai réalisé à quel point ce moule uniforme de la réussite sociale était intransigeant. Beaucoup de gens veulent des choses similaires : famille heureuse, travail valorisé par la société, position professionnelle enviable, résidence et voiture de luxe, piscine hors terre (la piscine creusée est le rêve ultime, mais pas accessible à tous!), voyages à l’étranger à tous les ans. Si possible, la France et l’Italie, après l’incontournable séjour à Cuba ou au Mexique pour scinder en deux tranches le long hiver polaire.

Dans mon autisme, les tendances, les mondanités et le style de vie n’ont pas pris une place importante. Rester à la maison, prendre mes vacances à lire ou écrire dans mon domicile, même lorsque le soleil vient faire rissoler joyeusement le parterre, manger ma pizza à la garniture identique tous les vendredis soirs au même resto et porter toujours les mêmes bottes, parce que je les aime, c’est plus que convenable. Je refuse la pression sociale d’être impressionnante par mes achats ou mes choix de vie. Je dose mes besoins sociaux selon mon ressenti et non dans la recherche d’une voyante popularité à exposer à tout moment. Ma norme, même si elle n’est pas typique, elle vient de moi.

Apprendre des codes sociaux

Je parlais récemment de la difficulté d’apprendre à parler le langage social des personnes typiques. Mais il est tout de même utile de savoir en faire usage, pour éviter de toujours se retrouver en situation d’échec. Auparavant, je vivais des situations d’inconforts et d’humiliations au moins deux à trois fois par jour, à la semaine longue. Avec une connaissance confortable des codes sociaux, de leur application, des nuances à apporter selon les circonstances, j’ai vu mon taux de situations malaisantes se réduire à une à deux fois par semaine tout au plus. Lors de semaines chanceuses, je réussis même à les esquiver complètement.

Le fait de savoir mieux réagir à l’autre, de me sentir moins en terre étrangère m’est apparu être un élément essentiel. Je me sens moins perdue et je suis moins en hyper vigilance constante. De plus, mes relations avec les personnes typiques sont plus agréables et constructives, maintenant. Mais il est essentiel de connaître aussi les contextes et l’aspect émotionnel qui se rattachent à ces interactions. Sinon l’usage apparaît peu fonctionnel, car, sans le contexte, on réalise que la majorité des gens ne respectent pas non plus les codes sociaux à la lettre.

Méditer, relaxer et canaliser son hamster dans quelque chose de constructif

J’ai constaté qu’il est important de trouver un moyen de se centrer, de faire un focus sain sur soi. Nous vivons dans un monde qui nous apparaît le plus souvent très intense, chaotique et stressant. C’est un manège infernal qui ne s’arrête jamais. Dans tout ce tumulte de variables inconnues, d’événements imprévisibles et de surprises constantes, il me fallait un point d’ancrage toujours présent et stable. J’ai alors choisi de faire de moi mon point d’ancrage solide. De toute manière, ne suis-je pas toujours la variable immuable à chacun de mes gestes, ne suis-je pas toujours présente à chacun de mes mouvements et paroles?

Notre anxiété est souvent très grande. Alors la méditation, la relaxation, le yoga ou toute autre forme de pratique nous permettant de ralentir notre cerveau en surcharge, de se recentrer sur le présent au lieu d’anticiper les situations à venir ou de remuer le passé, sont des méthodes efficaces pour maintenir une forme d’équilibre personnel.

Trouver une activité constructive pour canaliser ses pensées est un autre incontournable. Notre hamster, souris blanche ou toute autre bestiole qui tourne sans arrêt dans une roue infernale à l’intérieur de soi n’est pas toujours facile à amadouer et à dompter. Alors, comme cette dernière souffre souvent d’une hyperactivité maladive, il faut donc trouver moyen de l’amuser et la distraire, tout comme on ferait avec un gamin impatient assis sur le siège arrière de la voiture lors d’un long trajet. Personnellement, j’ai trouvé dans la connaissance de l’autisme, dans l’écriture et dans la sensibilisation des autres à l’autisme des moyens de lui donner un os à ronger ou une roue de plastique à user.

Lister ses forces, comme un bulletin avec uniquement des succès et de bonnes notes

Depuis que je suis toute jeune, je rédige des listes. Les premières étaient faites d’ordres militaires plutôt irréalistes : « Sois plus forte! », « Aie confiance en toi! » Vous voyez le genre de semonces autoritaires auxquelles je n’arrivais pas à donner un résultat pratique. Mon besoin de rejoindre les autres, leur ego naissant, leur aisance sociale visible me donnait une obligation à prendre les bouchées doubles, quitte à m’étouffer bien franchement avec la mie de pain ou une bouchée de steak mal mastiquée. Être comme tout le monde n’était pas à ma portée.

L’adage populaire qui préconise de se répéter dans la glace « T’es belle, t’es bonne, t’es fine! » ne se transposait pas non plus dans ma réalité d’un simpliste coup de baguette magique. Chaque minime effort portait sa lourdeur. J’avançais d’un pas, mais je reculais des sept huitièmes tout de suite après. L’amélioration n’était pas franchement perceptible à l’œil nu.

Maintenant, avec la conscience que j’ai de ma différence, j’ai fait le choix de lister mes forces actuelles et celles sur le point de germer. Celles qui sont accessibles, à portée de bras. Je les écris bien clairement, j’en fais la relecture consciente et attentive régulièrement, afin de bien m’en imprégner. Il ne faut jamais les perdre de vue, il faut les intégrer, leur permettre de prendre tout l’espace en soi pour avoir une meilleure estime de soi et de ses capacités.

Nous entendons à chaque jour des termes négatifs sur l’autisme : épidémie, maladie grave, fléau à réduire et toutes ces autres idées que chacun est à même d’identifier en faisant un minimum de recherche. Il est donc important pour soi de remettre la balance positif-négatif en équilibre, puis de la faire basculer en faveur du plateau positif. Comme je n’ai qu’une vie à vivre à la fois et que celle-ci risque de se poursuivre sur encore quelques décennies, alors autant prendre le parti de bien la vivre, avec plus de positif et de joies méritées.

Grandir, comme une adolescence psychologique en plein épanouissement


De toute manière, n’est-ce pas ce que nous lisons sans arrêt dans tous les manuels de développement personnel à la mode? Ces livres qui dégoulinent des tablettes des libraires, et que l’on mentionne si souvent dans les sections Lectures des publications hebdomadaires. S’écouter, s’aimer, s’accepter... Se pardonner, se comprendre, prendre sa place... Alors, j’ai fait ce choix. L’assumer chaque jour n’est pas d’une évidence enfantine et mes progrès ne se font pas à un rythme régulier ou constant. Mais c’est une pente ascendante qui m’a permis de rejoindre des haltes agréables et des paliers en dessous desquels je ne retombe plus. Je gagne chaque jour des acquis solides et indestructibles. Je ne me rabaisse plus inutilement, je sais que j’ai une valeur certaine. Je l’ai compris et j’en suis fière. Je ne suis plus une personne inférieure ou inadéquate comme la vie et mes congénères me l’avaient enseigné. Je suis moi. Différente, mais digne. Enfin.